T'es allongée sur le sol de ta chambre, la fenêtre grande ouverte, et t'écoutes un vieux tube de ton enfance. Cette chanson aux couleurs reggae, où le type se lamente, parce que sa coke pousse pas, ni ses légumes, ni ses bananes, mais tu sais bien qu'il parle toujours de sa coke, au fond, et qu'il se fiche du reste. Les feuilles quadrillées éparpillées un peu partout autour de toi te rappellent que t'es sensée bosser ton cours sur la détection d'armes à feu, sauf qu'au lieu de ça, tu remues ton cul au rythme de la musique. Tu peux pas t'en empêcher, c'est instinctif. T'allais te replonger plus sérieusement dans tes fiches, parce que merde, faut au moins qu'tu les lises, t'as une putain de mémoire, autant en profiter, mais une odeur alléchante vient te chatouiller les narines. S'en est fini de tes cours et de tes belles intentions pour les rattrapages qui n'ont lieu que dans deux mois, finalement. Ouais, tes fiches, elles peuvent pas rivaliser avec ce parfum de sucre et de beurre qui cuit. Même les filles de la pub axe, elles quittent la plage et elles courent vers la cuisine de l'appart, juré. Toi en tous cas, c'est ce que tu fais. En trois secondes, tu sautes sur tes jambes, t'ouvres ta porte en grand et t'accours dans la cuisine, le nez en l'air, à renifler les alentours. Tu découvres ton coloc, Alban, et un grand sourire naît sur tes lèvres quand tu vois ce qu'il a entre les mains. Une poêle avec un liquide jaune pâle, qui coule, crépite, à l'intérieur, avant de former une belle pâte lisse qui prend la forme de l'ustensile rond. "Oh putain, cette bonne idée." que tu lâches, en t'installant juste à côté de lui et de la bouteille de rhum, les yeux brillants.

Seize heures passées, et Alban capte que s’il a faim depuis un moment, c’est peut-être parce qu’il a loupé l’goûter, et, ça reste un truc primordiale ça. Ca, et les dessins animés le matin, comprenez. Donc, il décile enfin de bouger son cul du canapé, après avoir passé quasiment sa journée à squatter netflix, ouais, vive les vacances, et il arrive dans la cuisine. Il déballe un peu, sort la poêle, et c’est parti, il s’lance à la préparation des crêpes. Et puis, fallait s’y attendre, y’a une coloc qui débarque, Louise, en l’occurrence. « J’suis le meilleur coloc tu peux l’dire. » Il lance, en rigolant un peu. « J’crois qu’on est que tous les deux, ça en fera plus pour nos petites gueules d’amour. » Et, avec deux morphales pareilles, ils devraient vite tout finir, honnêtement, parce que si Alban a tendance à manger un peu trop, un peu n’importe quoi, c’est franchement rien comparé à sa coloc, un monstre, j’vous dis. Il retourne la première crêpe, à la spatule, on va pas trop prendre de risques dès la première crêpe quand même. « Attends attends, j’ai même une idée pour que cette aprèm soit encore meilleure, surveille la crêpe ! » Il lance, en se dirigeant vers leur coin bar (assez peu fourni, faute à Alban qui torche une bouteille aussi vite que son ombre) et il ramène deux petits verres à shooter. « On pimente cette aprèm avec des shots de rhum ? » Ouais ,ça fait sacrément ivrogne, mais, généralement, Louise est pas contre ce genre de truc, et putain que ça rassure Alban.

Tu peux qu'acquiescer à ce qu'il te dit, le bouclé, même si c'est pas dans ton code de conduite de booster l'égo des autres au maximum. Parce que tu sens bien qu'Alban il serait bien du genre à prendre la grosse tête. « Carrément, t'es au dessus. Là. » qu'tu lui répond en faisant des gestes avec tes mains pour montrer à quel point il a grimpé dans ton estime. Tu joins ton rire au sien, tes yeux louchant toujours sur la poêle crépitante. C'est que plus tu te rapproches de l'odeur alléchante, plus ta faim grandit. Quand il t'annonce que vous êtes que deux à l'appart, c'est comme si dans ta tête un p'tit singe faisait un max de saltos pour impressionner sa donzelle la gueunon. T'es tellement heureuse que tu pourrais l'embrasser le petit. Sérieusement, tu considères que savoir cuisiner, même un plat aussi simple que des crêpes, c'est une grande qualité. Puis il part vers le mini bar, en te disant qu'il a une idée encore meilleure que les crêpes. T'es aussi impatiente de connaître son idée qu'affamée. Il commet l'erreur de te laisser surveiller la  toute première crêpe. « T'inquiètes, je gères. » que tu lâches. T'hésites un bon moment, enfin une fraction de seconde plutôt, et dès qu'il a le dos tourné, tu choppes la crêpe et l'enfourne direct dans ta bouche. Comme ça, d'un coup. Tu bourres le tout le plus vite possible pour pas te faire cramer et mâche lentement mais efficacement. C'est une des techniques que t'as appris à perfectionner avec les années pour les concours du plus gros mangeur.  Ton coloc se ramène rapidement avec deux verres et une bouteille de rhum. La bouche encore pleine, tu réponds à sa question, comme à ta récente dégustation finalement, d'un signe de main, en formant un cercle avec tes doigts pour mimer ton accord. Nickel. Boum. T'es certaine que vous allez passer un bon aprem avec tout ça. Reste plus qu'à expliquer la disparition de la crêpe. « Elle était belle.» que tu sors, une fois que la crêpe en question est ingérée. De toute façon, t'étais grillée. Puis Alban, il a fait plein de pâte à crêpe, c'est pas comme si y'en avait plus. Tu lui fais un grand sourire plein d'innocence, au cas où il serait du genre rancunier, avant de faire couler un peu de pâte dans la casserole.

elle gère, elle gère, elle gère pas du tout en vrai, louise, parce que le temps qu'il trouve les verres à shooter, et qu'il revienne, et s'est déjà enfilée la première crêpe, et honnêtement, à une vitesse impressionnante. "putain t'as du talent" il lance, là, alban, parce que côté morfale, elle mérite la palme d'or. il se demande même si la pâte était assez cuite, franchement, mais bon, au moins, il sait à peu près à quoi s'attendre avec elle. ça va qu'elle refait une autre crêpe. " à ton talent alors? " il dit, en remplissant les deux petits verres devant lui, on refuse jamais un verre. Et puis, cul sec, honnêtement, à cette heure-là, sans préparation, ni rien, ça pique un peu. Et puis, il vide un peu mieux la bouteille dans les verres, une deuxième fois, comme ça, si jamais, pour plus tard, ou maintenant si elle veut. " surveille vraiment la crêpe cette fois, d'accord?" il lui demande, et le voilà parti en expédition, dans les placards, là, parce que, des crêpes natures, c'est cool, mais ça manque d'confiture, voyez, et il finit par trouver, alors il est content, lui. " bon sinon, tu fous quoi dans la vie? j'dois m'attendre à voir ton mec squatter h24 l'appartement? " petite façon détournée de voir si elle est célibataire, matez la technique de ninja, là, discrétion optimale.

Oui non, clairement c'est pas passé inaperçu. T'aurais pu faire croire à un tour de magie, mais t'y a pas pensé sur le coup. C'est toujours comme ça, les meilleures idées viennent après, quand c'est déjà foutu pour ta gueule. M'enfin, il le prend pas trop mal, alors tu te sens mieux rapidement. Tu fais une petite révérence en toute modestie lorsqu'il souligne ton talent. C'est ton truc l'auto-dérision, vaut mieux rire de ses conneries qu'en pleurer. Tu sais pas pour quel genre de fille il te prend pour le coup, mais tu t'en fiches, tu profites du moment. Au pire il planquera sa bouffe et t'engueulera pas parce que tu lui as piqué. Tu te concentres sur la seconde crêpe, histoire de pas la louper, celle-là. "à mon talent." qu'tu confirmes lorsqu'il remplit les deux verres de shot de rhum. Tu trinques avant d'engloutir cul-sec le liquide. Ça te brûle la gorge sa mère, mais tu dis rien par fierté. Petite vanne lorsqu'il se casse à nouveau chercher tu ne sais quoi dans les placards. tu ris jaune, faussement vexée. "promis, celle-là elle est pour toi." qu'tu lâches en retournant la bête. T'as peut-être abusé sur la quantité de pâte. Le machin ressemble plus à un énorme pancake qu'à une jolie crêpe toute fine. Ton coloc pose un pot de confiture sur le comptoir, pile au moment où tu dépose la master-crêpe sur une assiette. Impec. "J'me suis pas moquée de toi, t'as vu ça." que tu lui lances. Puis tu saisis une cuillère dans un tiroir et la lui tend. Ouais, faut pas abuser, c'est pas toi qui va étaler la confiture non plus. Les verres de shots se sont remplis à nouveau sans que tu t'en aperçoives, t'en prend un et tu le tend vers Alban. "A la crêpe la plus épaisse que t'ai jamais vu ?" tu arques un sourcil dans sa direction. Tu finis par plonger la tête en arrière pour laisser couler le liquide dans ta bouche et la brûlure s'intensifie. Tu ris à sa feinte. Forcément, t'as capté qu'il voulait savoir si t'étais célibataire, pas besoin d'un bac+5 pour ça. "J'fais des études dans la police scientifique, résoudre les crimes avec des échantillons de peau, tout ça." tu commences, en lui épargnant les détails glauques. Ce serait con qu'il vomisse sa crêpe. Puis tu décides de glisser quelques mensonges, pour le faire flipper un peu. "T'inquiètes il est cool, par contre il prie tous les matins à 7h tapantes. Ta chambre c'est la seule exposée est, alors ça t'embête pas s'il se pointe le matin ?" que tu lui demandes avec de grands yeux de biches, ceux auxquels on a du mal à dire non. "Il est musulman." tu lâches, tout en essayant de ne pas rire, ça niquerait ta vanne. En réalité t'es célibataire, t'as jamais capté l’intérêt d'une véritable relation. "et toi, ton boulot, ta meuf ?" t'es curieuse, mais t'es certaine qu'un type comme lui est pris, rien qu'à voir la façon dont il fait ses crêpes.

sérieusement, elle se moque de lui? ouais, la crêpe, elle est pour lui, mais vu la quantité de pâte qu'elle met, elle peut se la garder hein. il secoue la tête, il rigole un peu. "c'est même pas une crêpe ça, je vais devoir me taper la cuisine pour être sûr que tu bouffes pas de la merde c'est ça ?" il demande, là, et, honnêtement, ça l'dérangerait pas, il aime plutôt ça, en général. "mais elle va mettre quatre plombes à cuire" il râle, il s'dit déjà qu'il a une coloc pas franchement habile de ses doigts. mais, il est content, parce que y'a encore occasion à trinquer. "carrément ouais" il lâche, et hop, deuxième verre, l'adrénaline commence à monter, peu à peu, il devient chaud l'petit. ça brûle encore un peu, dans sa gorge, mais, il aime ça, évidement. et là il s'sent con, lui, à être un pauvre étudiant en biologie, sans trop savoir où aller, il siffle, genre, pas mal, respect. et, il fronce un peu, déjà parce qu'il semblerait qu'elle ait un mec, et franchement, devoir subir des disputes de couples et tout, ça l'emmerde profondément, mais bon, et vas-y qu'elle lui sort qu'il prie, que ce sera dans sa chambre, tout ça, "euh, j'sais pas, ça l'emmerde pas d'se pointer et de voir un autre mec à poil tous les matins?" avec la possible gaule du matin, tout ça, quoi, sauf qu'il voit le petit sourire en coin de louise, ça l'rassure, elle se fout de sa gueule, il préfère ça. et forcément, elle lui retourne la question, et alban se charge de retourner la crêpe, faudrait voir à pas les oublier celles-là non plus. "j'suis étudiant, j'fous pas grand chose cet été, et ma meuf, ma meuf" il sait pas quoi dire, y'a pas lou dans l'tableau, puisqu'elle lui a fait comprendre qu'elle voulait pas de lui "je l'ai pas encore rencontrée jcrois, c'est con" il hausse les épaules, confronte la réalité, parce que, visiblement, ce sera pas lou, jamais, alors, tant pis, et hop, nouvelle crêpe de faite. " regarde, ça, c'est une bonne crêpe! toute fine, bien ronde, aucune imperfection, tu vois " il exagère carrément, mais, par rapport à ses crêpes à elle, c'est du haut niveau vous voyez, alors, il croque dedans, là. " mais ça manque carrément de rhum "