sur un air de drake. la lumière est éteinte, il est tard. hier, tout à l'heure il n'a pas travaillé. pas sorti de la journée, depuis quand, hier, tout à l'heure. c'est que le début d'aujourd'hui, le début de demain. déjà le visage éclairé, jamais éteint. les pixels lui écrivent des mots doux. il y répond. il sourit, sincèrement. il s'énerve, sincèrement. il est sincère, ilyass.
une lumière, un son. un plus grand sourire encore.
sa tête bouge en rythme. il a envie d'un joint. un autre, le premier d'aujourd'hui. le millième de la vie.
coucou beautée.
il se lève pour fouiller sa chambre, en attendant une réponse. peut-être qu'elle est pas encore levée, qu'elle va rentrer dormir, sans lui.

les illuminés sont là à trois heures, pas avant, quand les contours de son visage se peignent en bleu et en argent, elle se réveille, pas avant.
Rock me real slowly
Put a bib on me
I'm just like a baby, drooling over you
The things you do

il danse dans le creux de sa tête, elle se perd entre le refrain et le couplet, ils lui attrapent la taille, les désirs post-minuit, ceux qu’on murmure qui traînent entre nos draps la nuit. elle s’y roule, doucement parce qu’Isma c’est la fille de Morphée, et si elle se rattrape pas, elle tombe à tout jamais.
c’est les heures où elle sait pas lui mentir, où tout se tord entre ses doigts, hors de portée, elle se noie dans les pixels, parce que quoi d’autre ? et si y a plus ça qu’est-ce-qu’il reste.
est-ce-que ça a un prénom ? ilyas, c’est ça; c’est pour ça que ça tourne, machine à laver infernale, dans le tambour c’est une gamine, une gamine, elle fout le bruit ailleurs. dans le casque le premier bip résonne et elle répond; trop vite.
— est-ce-que ça va ?

la musique est triste, elle casse pas d'oreilles. la voix d'une fille qui lui parle dans l'oreille le temps qu'il cherche. qu'il trouve. et un bip dans l'oreille. une autre voix féminine qui lui dit que c'est assez pour eux deux.
toi ça va ?
ne pas répondre, pour ne pas mentir. aujourd'hui ça va, oui mais vraiment ? il sait pas.
il attrape un cd perdu dans ses draps. il commence son affaire.
t'as fait quoi aujourd'hui ?
le carton derrière l'oreille, le grindeur qui grinde. le geste est précis.
tu sais même pas c'que tu veux dans l'amour.

elle se sent mal de demander, d’ailleurs si le fil voulait bien se rompre elle aurait sa réponse, mais comme d’habitude il s’est planqué dans un coin pour pas dire ça en face. ça a jamais été son truc, ça le sera sans doute jamais, maintenant les vérités se roulent dans des joints et se fument à pas d’heure, c’est la fin qu’on mérite tous, de s’envoler dans l’air sans avoir aucune accroche sur quoique ce soit. Isma elle a la trouille d’Ily,
parce qu’elle se souvient des détails de son visage et de comment il sourit même si c’est à travers des pixels sur une caméra à la con,
parce que sa voix à des élans qui lui restent au fond des yeux et même sur les coins de la bouche.
Isma elle se remet pas d’Ily, d’ailleurs si elle s’était remise, elle aurait autre chose à dire que ça va et toi ?
— en vrai tu me manques
jvoudrais convo mais il est tard jveux pas déranger les autres

t'as besoin de personne d'autres. juste de moi.
s'il te plait appelle moi.
pourquoi t'appelles plus ?
les chansons s'enchainent et avec elles la nuit. les heures et les minutes s'envolent. déjà si tard, déjà si tôt. déjà maintenant.
et isma est toujours là, tu es constamment là. dans un coin de la tête, derrière l'écran. derrière une chevelure, un rire, une voix qu'on entend jamais. t'es jamais vraiment là, isma.
ses doigts s'enroulent, sa langue colle.
les mots lui chatouillent les joues. elle est mignonne.
il va dire quoi sergio ?
même s'il voudrait l'entendre.
il envoie la demande, pour embêter, l'entendre respirer.

faut parfois laisser les catastrophes caresser les bras des océans; c'est un peu le perdre non ? ce soir, y a une distance de plus, elle mange, même pas, elle dévore, elle est là. elle est pas partie depuis le temps, ça devrait la surprendre mais.
il y a le vide de lui, et parfois elle s'entend penser des futilités vagabondes qui pourraient aller courir sur les épaules d'Ily, dire cent choses qui passeront pas les contours de sa bouche, qui courront pas sur sa langue pour le prévenir; du coup et du contre-coup.
qu'est-ce-qu'il peut bien dire, bien faire qu'est-ce-qui s'est déjà pas pété en deux ?
elle lève les yeux sur l'écran, respire fort comme les gosses quand ils ont pour la première fois appuyé sur le mauvais bouton.
elle décroche.
elle a rien dit.
serge, serge, serge.
il roule sur sa moto imaginaire, entre ses seins d'fille sage, et puis, il s'arrête.
la caméra tourne; action.
— pourquoi t'as appelé ?

et pendant le temps qui passe, entre le moment où il a appelé, et où elle a décroché. il était en train de lécher sa feuille. les yeux fermés, les lumières de la chambre sur son visage. le noir percé par du bleu. du rose au loin. une plante en fond de chambre, d'écran.
il finit, il sourit à sa voix. il ne dit rien, continue comme si elle était pas là.
la flamme enflamme.
son souffle se cogne contre le micro.
les basses dans son casque. il rit.
puis il hausse les épaules, sans rien dire, pour réveiller personne.

puis il perce les murs avec ses mots courageux; ses mots qu'en finissent pas, qu'exploseront un jour entre ses mains d'enfant pourri gâté. et lui, lui c'est qu'un sale type elle pourrait s'dire, avec ses étoiles sous les yeux et ses mains qui prennent le geste en amour à force. elle aimerait bien l'dire, elle aimerait bien fuir, faire comme dans les films et plus donner de nouvelles.
ouais mais si c'était pour plus voir ça
alors elle veut pas,
non y en aura qui flotteront dans l'air des turbulences, même qu'elle sera par terre parfois à essayer d'se rattraper. Isma le dévisage depuis sa led magique; elle attrape son portable, veut jouer un peu; lui écrit;
— parle moi

il reste un instant comme ça, sans bouger, il la regardait juste. il la sauvegardait, surtout. qui l'aurait cru, même dans ces conditions, il est étonné de lui même.
il finit par ouvrir la bouche.
j'ai faim.
il se retourne se demande s'il devrait pas aller chercher à manger. il aurait pu être intelligent et en avoir d'avance, mais non. il va devoir devenir un ninja et aller se faire à manger. il pense à toutes les choses qu'il pourrait manger. et il murmure à lui même.
cordon bleu père dodu, possède un goût de légende
avant d'ajouter.
putain un cordon bleu.

— bah dépêche toi alors, elle lui murmure.
elle cale son casque sur les oreilles; joue une de ses préférées; une de ces chansons sur la fille qui s'est pas pointée en soirée, avec ses avances désespérées, il a fini par écrire une chanson sur elle, une chanson qui voulait tout dire (mais quand même pas assez)
et puis la voix embaume leurs chambres comme de l'encens, elle s'sent portée par l'heure, elle pourrait venir jusque lui, elle le sait, si seulement les murs arrêtaient de danser avec elle, elle qui bouge les bras en créature docile, infantile, sans vraiment l'regarder de près.
allez viens,
j’veux tes tendresses
et pas que ça, aussi tes maladresses,
mais ça c’est dans sa tête que ça vient, ça se balance. elle y croit pas, elle y croit plus.

pourtant il n'a pas la foi de se faire à manger. pas l'énergie. elle s'est envolée avec sa volonté.
il ne bouge pas, il la regarde, faut croire qu'elle l'a vite oublié. ouais c'est ça, elle est partie se nourrir elle aussi. il n'a pas sourcillé, continuant de fumé, en la regardant. isma derrière l'écran.
tu veux pas venir m'le faire.
il brise le silence, se rendant visible, il enlève sa cape, coucou je suis là, coucou je te vois.

— non.
ses yeux ils roulent, ses yeux ils tracent la route c'est des voyous. elle a le sang qui fait des tours minute.
— j'le fais déjà pas pour lui.
et puis elle s'attarde, elle se laisse faire, par les bouts de lui qui veulent des bouts d'elle. Isma c'est pas une combattante non. juste une fille parmi toutes les autres filles.
d'ailleurs qu'est-ce-qu'il a a lui poser les yeux dessus. pourquoi ça devrait s'effondrer comme ça, est-ce-que c'est bien légal à la fin ? t'as le droit dis ? t'as le droit, Ily ?
alors elle l'écrase.
avec des silences; si elle était tendre, ça se saurait.
— mais l'inverse peut s'faire.

et puis elle balance la masse, à trois lettres prêts elle allait venir et ils auraient mangés dans son lit. mais à la place il reste seul.
comment ça l'inverse ?
il réfléchit, entrevoit toutes les possibilités qui peuvent s'offrir à eux.
tu veux une formule à dix euros, bébé je t'emmènerai fluncher mais que si tu dis oui. que si tu l'invites, isma. dis oui pour un flunch, pour un rien, juste un repas.

au final c'est une fausse gentille Isma. peut être bien que si elle avait pas une tempête en plein dans le coeur, peut être bien qu'elle ferait un effort (qu'elle ferait semblant) que c'est pas grave.
et comme il dit si bien, y a que chez flunch qu'on peut fluncher. ses petits yeux roulent droit dans les siens.
— on peut s'voir juste pas ici
si tu voyais l'heure mais tu l'as pas vue depuis des mois, toi. c'est parce que c'est trop doux d'se perdre dans les mauvaises heures, elle le sait.

mais où se voir, quand et comment ? vivre cacher, c'est vivre heureux. si compliqué.
tu veux aller où alors ?
il pourrait l'emmener n'importe où. dans le ciel étoilé, sur des nuages, sur des aurores boréales, dans les océans et à la cime des arbres. il veut aller au bout du monde tant que c'est pour la voir sourire, tant que son coeur s'allège.
il finit par s'allonger à plat ventre, sur le lit, entre les couvertures.

— jsuis un peu nerveuse.
le sms s'est tapé doucement, elle a hésité avant d'appuyer sur envoyer, le temps que le ciel se réveille, toi et moi on sera pas encore nés. dans l'emportement elle a quitté ses océans, elle a préféré se laisser aller à la fatigue, son souffle s'alourdit, Isma, sale mioche dans ton quartier-mer, elle aime ses silences, elle aime ses espaces (ceux entre les mots, ceux entre les phrases), celui qui caressait le bout de ses trouilles de môme, c'est Ilyas. elle se redresse dans son lit; la distance c'est son amante, qu'elle dit.
— on s'est pas vus en face encore.
je veux te voir.

c'est vrai que la distance est grande, toujours cet internet. un fossé qui semble infranchissable. c'est quoi de se voir ?
il peut que se perdre dans ses draps et y'a personne pour venir le repêcher. il voudrait que se soit isma, qu'elle soit sa sauveuse. mais il faudrait qu'elle soit là, et jamais il ne l'a vu. en vrai, pas en pixel.
il baisse les yeux, se gratte la tête.
c'est pour ça, flunch pour un premier rdv, c'est cool, non ?
un peu cool. pas beaucoup.
il sourit.

la maladie honnête, celle qui la traîne par les pattes, elle a sur les bords d’sa bouche des vérités toutes encastrées comme dans un coin de son visage. la chambre et froide et noire de nuit, la chambre est trop grande pour un lit. Isma elle est au milieu, sur un radeau dans un faux ouragan, à chercher les interrupteurs des yeux sans les allumer, sans les regarder.
c’est pas comme lui, lui si elle pouvait elle l’allumerait de toutes les façons juste pour plaire à un garçon, mais elle sait pas toutes ses délicatesses, non elle a peur de pas être la bonne fille en détresse.
alors elle reste là avec ses idées sombres; que d’toute façon il y a serge en fond, qui l’entoure avec ses bras holographiques, qui lui murmure que y aura qu’elle. c’est vrai pendant un moment elle y croit, elle s’dit qu’elle même elle peut s’passer de ça, plus lui donner tout ce qu’elle lui donne.
lui c’est qu’un gars, elle c’est qu’une fille.
Isma elle s’brise sous ses plaisanteries. elle voudrait bien lui dire: oui
oui à toi, oui à moi, oui à nous.
— tu veux faire ça à serge ?

serge, il l'avait oublié. isma et serge. mais isma sans serge c'est isma + ily.
quand il parle avec isma c'est comme si c'était une autre fille, une belle qui appartient à personne, juste à cette écran, juste à quelques pixels. c'est rien, c'est pas grave. ça fait quoi de parler avec elle ? y'a rien, y'a rien...
on peut se voir, juste pour parler ? sans que nos coeurs battent à l'unisson, c'est possible, non ?

elle sourit.
le sourire tombe, s’effondre mais avec la douceur des filles qui se retrouvent pas. sourire défi, sourire un peu trop tendre, sourire offert avec la nuit, avec les patiences abandonnées, sourire à en mourir, sourire pour Ily, sourire pour faire passer la pilule. sa pilule elle a des rivières dans les globes oculaires; une espèce d’univers né dans les décombres, sous les sourires.
au début elle souriait beaucoup pour Ily. peut être parce qu’il lui plaisait déjà et qu’il faut beaucoup de sourires, beaucoup. pour plaire, pour se plaire, elle se renfonce dans le matelas, elle a le regard inquiet des gonzesses un peu trop bonnes qui s’rendent compte d’à quel point elles sont connes.
sur le coup ça fait pas trop mal, c’est une chute mais y en a eu des tas, c’est pas la première fois que ça la fout dans un tel état. ça a un prénom. Ilyas. parfois avec deux s. parfois avec deux s il referait l’monde, c’est Ily après tout.
elle sourit.
— tu veux vraiment te faire un flunch ?
tu viens hein ?
promis ?