il voit pour la première fois, pas n'importe quoi; toi. isma, tu es enfin là. il voudrait t'en dire des choses.
que ton rire est plus beau encore que lorsqu'il est hurlé dans son casque.
que tes pixels sont plus beaux en vrai.
que ton odeur il aurait jamais pu l'imaginer.
qu'il a envie de te cacher sous son manteau.
qu'il te veut dans le creux de sa main pour l'éternité.
l'écran te rend pas justice. justice est faite.
son regard se pose sur leurs doigts. ses yeux se plongent dans les tiens. il sait pas quoi dire ni quoi faire.
c'est plus facile avec une vraie inconnue, là c'est une inconnue qu'il connait, et c'est compliqué.
rien. il n'arrive pas à parler. il se sent bête. il s'excusera sur internet.

viens on en fait d’autres, on en fait des centaines ? et faut pas le dire à serge, non faut pas lui dire, imagine si ça lui rentrait dans le coeur, est-ce-qu’il pourrait s’en sortir ? il aurait mal pas vrai ? est-ce-que t’as mal ? ça y est ça remonte en masse, des désespérées, c’est comme ça qu’elle les appelle, à chaque fois elle les a repoussées.
elle va écouter la science: tu sais Ilyas, l’amour dure trois ans, bientôt j’aurai même plus à choisir, y aura plus rien.
mais elle a pas envie de lui dire ça et d’jeter ses beautés des(astres) par terre, non elle veut pas. de toute façon elle le sait, Ily s’en occupera il explosera tout.
i was scared of dentists and the dark, i was scared of pretty girls and starting conversations… all my friends are turning green, you’re the magician's assistant in their dream
Isma elle s’renfrogne à l’entendre, elle laisse leurs deux mains tomber, c’est peut être ça l’problèmes.
— ça va pas ?

qui pourrait s'imaginer qu'un grand garçon comme lui soit aussi bancal socialement. des fois il y arrive, des fois il s'en sort comme un chef. des fois il passe pour une merveille, une douceur de l'univers. et puis il y a les moments où il se met la pression, ou les maux de ventre sont présents. et là, il sait pas comment faire, s'en sortir. il veut retourner derrière son masque, oublier.
il hoche la tête. ça ira.
ils marchent, ils avancent, en espérant que la gêne passe.
ça ira.
tu veux manger un tacos alors ? il parle, miracle.

des fois isma elle oublie que les gens sont humains; c’est qu’Ily vient de se former devant elle comme un nouveau soleil - il lui faudra de quoi briller - peut être un tacos, peut être pas. depuis internet y a des milliers de pixels - entre lui et elle - lui c’est le gosse taulard il est dans sa prison-skype, dans son nuage twitter, parfois elle se demande s’il va bien parce qu’il en dit trois fois trop, trois fois trop vite et après il est là devant elle, sans un mot.
— Ily il est tard.
en fait c’était une excuse, c’était lui l’excuse, il serait pas un morceau de chaos dans le décor en carton peut être que ça irait. isma elle sait que ça va pas, ça s’sent même dans sa voix.
si ça se trouve il voulait pas ça, si ça se trouve y a que du drake entre eux, que des posts entre eux, que des distances, entre eux.
— t’es déçu ?

il a envie de se tuer, de se faire mal.
il veut frotter ses phalanges contre les murs granuleux des immeubles.
il veut voir le fond du rhône.
il veut sauter du haut de la basilique.
il veut avoir les pieds dans le vide.
il veut ressentir autre chose que cette gêne qu'il s'inflige.
pauvre ily, ta vie est si difficile.
ce soir tu écriras combien tu es con d'avoir laissé filer la plus belle fille de l'internet, site porno ne comptant pas.
non. non. le premier est plus fort que le ton de sa voix ordinaire. le deuxième est murmuré.
du tout. j'sais juste pas parler. avoue-t-il timidement. sa tête regarde le sol.

son portrait était celui d’une fille pas docile aux allures de gamine-électrique; elle elle voulait passer au dessus des toits avec un garçon un jour, lui dire tous les trucs à la con comme des je t’aime et s’arrêter là pour regarder le ciel qui leur tomberait sur la tête.
en pleine apocalypse elle s’est crue capable d’avancer malgré le visage de Serge en fond. Serge colère, Serge lumière qui perd en intensité, chaque jour à chaque fois qu’elle fait un pas de travers. 
Ismaïl elle veut ses doigts contre les siens, sa nuque contre son épaule, le goût de sa bouche et le bord d’sa poitrine contre la sienne une fois (puis deux, puis trois).
elle voudrait lui dire qu’il a pas l’air pareil en vrai; on dirait presque qu’il a peur et ça lui fait peur, aussi. j’ai peur aussi, Ily.
— peut être mais j’suis pas mieux
c’est plus beau,
d’te voir en vrai.

il a l'impression d'avoir tous les maux du monde sur le dos.
il respire, essaie de reprendre ses esprits. il tâte son short, il a rien pris, juste sa vieille gueule et son mutisme.
et les mots d'isma lui font relever la tête, sourire, même. elle l'aime bien ?
tu trouves ? t'es pas déçu.
ça va alors, pense-t-il. tout va bien. une partie de l'angoisse s'envole. il est rassuré de savoir cela, il sait qu'il ne l'empêche pas de s'enfuir.

elle a les mains moites comme les gosses et la moitié du visage couvert de gêne Isma. pourtant c’est pas la première fois qu’elle rencontre quelqu’un, c’est qu’il lui fait l’effet d’une chute de météores, Ilyas.
— pourquoi tu penses que j’serais déçue ? sous le néon de l’arrêt de bus elle le regarde, avec deux yeux trop grands pour elle-même. Ily a laissé quelques mètres, entre lui et elle.
tu veux pas qu’on aille chez toi ?
Isma elle s’éloigne, elle regarde en l’air, le ciel est muet, la terre est conquise, peut être par les affections cruelles, entre lui et elle.

c'est tout c'qui l'entoure qui l'empêche de s'enfuir. lui, elle, d'ici, d'elle.
il étouffe, il regarde partout, surtout ses pieds.
ses coudes sont sur ses genoux et sa tête dans ses mains. il se tient les cheveux, comme s'il avait peur de laisser des traces. les miettes de lui qu'il laisse derrière cette bêtise.
pas elle, la sienne. d'être ici, pas parce que c'est toi, mais parce que c'est nous.
elle remarque pas. il l'écoute pas. son coeur bat dans ses oreilles. il s'accélère.
il s'arrête. elle se retourne. il la regarde.
il meurt.
avale sa salive, respire. elle se lève. il loupe une marche.
ses jambes tremblent, normal il vient de sauter sur ses appuis.
elle s'est retournée. il respire.
une fois.
et il part dans l'autre sens.
deux fois.
il coupe par un buisson.
trois fois.
il est parti.

Ismaïl elle a pas l’habitude que les gens se taisent devant elle, elle les voit qui débitent mot sur mot juste pour la convaincre et la faire s’illuminer, parce que comme toutes les filles (et tous les garçons) elle a cette fâcheuse tendance à l’honnêteté ou pire, au mensonge. 
mais quand Ily est autour y a de l’oxygène en moins et elle a besoin de plus de temps pour faire son numéro. son numéro préféré c’est celui du « tout va bien », elle aime se faire appeler à quatre heures du mat’ juste parce que la trouille les a dévorés. non c’est pas ça le problème et puis au pire elle reviendrait en arrière, elle lui dirait que c’est plus possible, qu’elle a plus envie, que c’est plus comme avant: c’est tellement facile de tout casser en deux par message.
Ismaïl elle a pas l’habitude que les gens se taisent, alors elle reste là avec ses questions en l’air et quand elle se retourne, elle le trouve plus.
si ça se trouve elle a rêvé, mais tout rêvé,
si ça se trouve
les gamines comme elle se sont trouvé des ailes de secours
pour se mentir,
se repentir.

et il a fui, le lâche. on devrait le montrer du doigt. lui dire combien il est nul, combien il vaut rien.
tu sers à rien, ilyas. même pas capable de rien. tu sais pas rester bêtement en souriant. pourquoi tu dois faire cette tête. pourquoi tu dois donner l'impression d'être en train de mourir chaque seconde qui passe. putain, c'est quoi ton problème ?
il prend ses écouteurs. de la musique vient. drake qui vient le réconforter.
ses yeux se remplissent. ses mâchoires se resserrent.
alors, t'as mal, p'tit con. ça fait quoi de sortir dehors. t'es con avec ta dégaine. tu réfléchiras à deux fois avant de faire des conneries pareilles. tu penses à rien, c'était pas ta faute. ouais jamais ta faute, tu fais bien de fuir. tu mérites rien, personne.
ses poings forment une demi lune. un astéroïde qui passerait trop près d'ici, trop près d'elle. fallait pas qu'elle puisse voir ça. il cogne. il tape. il s'écrase contre le mur. l'immeuble. le béton. contre la société. la vie. lui. l'autre se joint à la fête. du sang perce la peau.
merde.
il ferme les yeux, ne plus rien voir. ne plus rien sentir.

***

il se réveille dans son lit. il voulait oublier, il sait pas comment il est rentré. quand.
il attrape son ordinateur, premier réflexe : isma.
pas connecté.
tant pis.

""coucou.
j'espère que t'es bien rentrée.
j'suis désolé.
j'sais pas ...
j'ai la tête qu'est partie. j'savais pas... quoi faire, 'fin j'sais pas.
j't'aime bien isma. un peu trop. et ici ça a rendu les choses difficiles. pas serge, j'm'en bats les couille d'ce con, il te mérite pas. t'es trop belle, ismaël. et en faites ça m'a fait trop peur, t'es encore mieux que dans ma tête, sur l'ordinateur. j'pensais pas, j'imaginais pas. j'espère tu me pardonneras d'être parti comme ça, mais j'ai du mal avec ça. le vrai, et puis les sentiments aussi .. j'suis un gamin et j'sais pas comment on fait.
tu dois m'prendre pour un nul.
j'comprends si tu veux plus parler.
mais j't'aimais bien, isma.""

et puis il se déconnecte et retourne mourir sous sa couette.