en ce moment isma elle vit une perte de contrôle sur le monde. tout s’bouge sauf elle, elle, elle se recroqueville dans une boucle temporelle. ça remonte à une semaine, et puis tous les lampadaires lui ont fait la gueule ce soir-là. elle tenait plus bien sur ses guiboles quand elle est arrivée à l’appartement, elle tenait pas, peut être parce que quand ça nous arrive on veut plus tenir. 
le poids des mots est pas le même, elle se rejoue la scène dans la tête depuis, elle se demande ce qu’elle a fait de travers. peut être qu’elle regarde trop l’écran-pixel pour se remettre de quoi que ce soit, ou qu’elle a pas envie de s’remettre.
il pourrait avoir c’qu’il veut, alors il s’est noyé dans la liqueur des nuits où elle était pas là, c’est aussi simple que ça. 
pourquoi répondre, à quoi ça sert, ça doit être encore un d’ses jeux tordus de l’autre bout du fil, il tire, il tire sans relâche jusqu’à ce que ça tienne plus.
mais si elle l’a rendu malade, alors ça vaut pas l’coup, c’est ce qu’elle se répète, les yeux éclatés par le plasma, les bouts de ses joues couverts d’une couleur approximative entre tendresse et échec, les deux mélangés pour lui donner plus l’air d’une femme. mais Isma c’est qu’une fille; une fille qui voulait rencontrer c’garçon sur internet.
et tous les miracles s’envolent, virent les uns après les autres. c’est quoi son nom ? elle aimerait qu’on lui demande, Ilyas. elle répondrait.
et sans Ilyas, ça ressemble pas à grand chose.

une semaine qu'il a envoyé le message. une semaine qu'il espère. à croire à chaque lumière, de voir de l'espoir dans chaque sonnerie. un rien pouvait l'annoncer. rien ne l'a amenée. elle est restée loin, là bas. un instant a tout fait basculé. le bateau a coulé.
le fleuve continue sa route, la petite embarcation d'ilyas ne bouge plus. il tente de mettre son pieds hors de cette folie. il cherche son chemin, il ne le trouve pas. toutes ses tentatives finissent par des insultes. à lui, pour lui, de lui. il n'y a plus que lui dans sa vision.
et isma, aussi. mais ce n'est qu'un fantôme. des souvenirs révolus. il veut les revoir. la revoir. lui reparler. re-commencer.
ce soir il a besoin de se prouver que ses démons ne font pas de lui la personne qu'il est. il veut se prouver qu'il n'emprunte pas les mêmes rues qu'avant. isma est différence et il veut que la nature change la route de l'eau, de son bateau.
isma ?
il est tard, est-elle même encore levée, comme avant ?

elle est dans son vaisseau, prête à décoller pourvu qu’elle revoit plus le monde deux fois de la même façon. elle a des mains de filles, des mains qui courent sur la nuque des garçons, parfois elle s’arrête pour les regarder (tous les deux) et elle arrive à pas faire la différence; entre tendresse et affection y a qu’un pas.
comment il peut faire ça ? elle se le demande, pendant que sa tête penche, Ily sait pas se taire soudain (il est bruyant comme un éclair, il éclatera comme un orage) et dans la nuit Isma s’noie, elle glisse en dehors des draps, se redresse.
on lui a souvent dit de pas répondre à des textos à trois heures du matin, parce que c’est jamais bien intelligent, puis de toute façon à quoi ça mènerait sinon un voyage express vers une autre planète dans une lâche tentative de tout lâcher pour aller parler à la lune.
tout plutôt qu’ce mal qui lui tord les poignets, Isma a les yeux qui tombent sur l’écran d’son téléphone.
— comment tu sais ?
tu dis que tu m'aimes

il fait tomber son joint. tout droit sur le sol, le regard fixé sur l'écran de son ordinateur. il est posé sur une table basse. il s'allonge de tout son long sur le lit. les bras vers le ciel, au dessus de sa tête. le matelas semble si bon, un nuage.
il devrait s'énerver d'avoir fait tomber sa cigarette verte. il devrait parce que ça a foutu de la cendre sur son genou.
mais il sourit de soulagement. il est arrivé.
l'petit vient de marseille, faut l'excuser, il dramatise. c'est qu'un message.
il se relève, pose ses doigts sur le clavier. la lumière de la lune par la fenêtre, il sourit.
peut-être que j'te l'écris, oui. tu veux j'te le dise ?

elle laisse tomber ses larmes cosmiques, non c'est pas comme ça qu'elle deviendra grande, Isma. les mains plongent sur le clavier, elle veut lui taper une montagne, lui faire monter l'Everest; qu'il sache combien elle vaut pas le coup, elle essaye d'lui dire cent fois mais c'est pas aussi facile que ce qu'elle croyait.
elle a les doigts capricieux, ils se tordent pour une cigarette, addiction qu'elle a quitté en même temps que le lycée. elle, elle sourit pas, elle a tout sauf envie de sourire, en même temps c'est normal elle porte même plus bien ses bras, ils sont ballants; elle est avachie, on dirait une gamine qui se connecte pour la première fois à l'internet.
jsais pas si je veux,
j'crois pas que toi tu veuilles
tu vas faire une connerie
mais Isma t'es qui, t'es qui pour juger avec tes fantasmes bizarres, ton nez de travers sous la curiosité, les morceaux de ton âme étalés à ses pieds ? y a pas beaucoup de lumière, juste des nuances ça et là, sur son visage ça dessine des tranchées lumineuses en bleu et bleu foncé.
non moi aussi je vais faire une connerie et
y a serge.

la lune, sa fenêtre, son visage.
la lune peut faire aussi sa fenêtre, à elle, et finir sa course sur son visage. doux vaisseau de lumière cosmique. des particules d'étoiles qui pleuvent chaque nuits, chaque jours.
je suis l'univers, elle l'est aussi.
cette réaction est excessive. il le sait, pas complètement.
il bondit sur ses jambes, lit l'écran, rit.
j'sais surtout pas le dire, plutôt.
la connerie il l'a fait. pas fait avant, ni plus tard. seul moment présent est une connerie.
il t'aime, toi, isma. tu es sa connerie.
il relève les yeux. ne rit plus. son visage se ferme.
tu l'as rendu triste, le petit.
où ? point.

Lui c'est l'OVNI au milieu d'un champ d'impossibles. elle a mal au coeur quand elle écrit, ça appuie fort dans sa poitrine, elle s'était cru invincible parce que c'était Ilyas. Ilyas, ses mots faisaient toujours un drôle de sens, mais pas un mauvais sens plutôt le bon. Parfois elle savait pas si c'était bien de tant dépendre d'une personne, et aujourd'hui encore ça lui perce les poumons.
C'est le spectacle écrasant de l'affection.
"Tu m'as pas répondu.
Pourquoi tu m'aimes?" Les étoiles sont en train de s'éteindre dans le ciel, et puis tout va bientôt chuter en pluies incontrôlables. Elle pourra plus changer sa façon de le voir (au moins pour un temps).
C'est que des gosses elle se répète, c'est pas grave, y a pas encore de plaies iratrappables.
"Ily arrête de faire le con c'est plus drôle. Jvais lui faire du mal."

il a besoin de savoir où se trouve ce petit, cet enfant comme eux.
c'est qu'un môme qui donne beaucoup trop de soucis à ses géniteurs. ily perturbe, avec un belle accent de l'ailleurs. enfant mal fait, qui est bon que jusqu'à un certain pourcentage. il lui en manque, ou bien il en a trop. y'a quelque chose qui cloche.
pourquoi a-t-il besoin de savoir tout ça, il aime isma, il lui prouve et c'est tout. on s'en fout.
la vie veut que non, elle veut compliqué le tout.
il est con.
il est énervé.
pourquoi. parce que.
j'sais pas. c'est juste une sensation dans le bide, quand j'te lis. j'connais pas.
tu m'fais de l'effet, c'est tout. tout partout.
mais il est où ?
et ne s'en font-ils pas ?
il t'en fait aussi.

L'effet dévastateur est une créature debout sur deux pattes. Elle les pousse l'un vers l'autre dans un élan fatal. A leur âge y a une fin brutale au fantaisies adolescentes. Les yeux, ils piquent trop vite, les nuits elles sont trop courtes et pas comme du lait sur la peau, pas de tendres tentatives, que des terribles accoups dans le tonnerre du réel.
Ismaïl bouge pas de sa chaise, elle reste là à fixer l'écran. Elle écrit "je t'aime" mais c'est envoyé trop vite, dans la précipitation et dans l'espoir que ça passe entre les enjambées galactiques-amoureuses fatales qu'ils se balancent à la gueule.
"Quand jtai vu j'ai cru que j'allais plus jamais avoir besoin d'air. Parce que t'étais là maintenant.
Puis t'es parti et jcrois que t'es lâche."
Parce que tu me laisseras jamais prendre ton visage entre mes mains.

il veut aller trouver serge, le casser, lui briser la vie. lui dire que c'est finit, aurevoir l'ami. il voudrait...
et puis les mot sur l'écran.
quelques, un torrent.
le coeur s'arrête.
complètement.
il est lâche.
ses poings se serrent.
il veut pas devenir un méchant,
un vilain. il veut rester gentil.
...
sympa l'insulte.
ça passe bien après un je t'aime, t'es qu'un lâche. ...
il veut lui faire comprendre qu'elle l'a blessé, qu'elle s'excuse.

Sa tête viendra pas se poser entre ses mains. A un moment elle est allée réveiller le volcan et puis elle l'a regardé qui embrassait tout le paysage avec ses bras de lave.
Pour Ismaïl ça brûle. Elle l'avouera jamais mais ses petits yeux se rétrécissement sous la lumière de l'écran. "Non jveux pas dire que ça." Isma elle remue sous l'oeil accusateur de Skype. Elle l'appelle. Allez décroche, laisse pas tout s'étaler. Elle a pas la patience de lui dire ses vérités en face, parce qu'ils les connaissent tous les deux. Le bitonio bleu clignote dans les profondeurs de la chambre.
Décroche, décroche, décroche.
"Tu crois que c'est drôle?
Moi jveux pas tfaire de mal"

elle ne voulait pas dire ça, oui mais le problème c'est de l'avoir dit. et tu sais quoi, isma, c'est même pire que ça. tu l'as écrit. sur internet. les paroles, le vide de l'univers nous les enlève, il nous les reprend. mais internet garde et conserve. et là tu l'as écrit, pas simplement dit. t'es qu'une amie endormi à jamais dans l'ordi.
excuse toi.
c'est c'qu'il veut. ça il peut. après ça ira mieux, il ne voudra peut-être plus appuyer sur le bouton d'alimentation. peut-être qu'il voudra pas fermer la fenêtre et rester seul avec lui-même.

Fallait être sacrément bête pour traiter les autres de lâches. Et puis elle est au courant: une fois qu'tu donnes ton avis y a l'océan qui déboule avec ses vagues de cinquante mètres pour ravager la côte et ruiner tous les coeurs.
"Si t'es pas lâche alors viens." Au lieu de s'excuser elle s'enfonce dans une logique adolescente et atroce. Une logique qui ne lui appartient plus et brise des tas de codes entre eux, mais ça elle s'en fiche parce qu'elle est juste sacrément remontée; contre ses délicatesses, la façon qu'il a de vivre en sachant s'en aller pile quand il faut pas. En fait elle le trouve tout sauf lâche, c'est courageux de savoir prendre les voiles sur ces mers inexactes et indécises.
Sauf que Ismaïl veut rien savoir, elle veut faire comme si c'était foutu, qu'il applique sa méthode, qu'il la fuie encore plus: parce qu'elle en vaut pas le coup.
"T'es pas sérieux de toute façon. Demain tu vas match quelqu'un et puis te casser."

il hurle au chantage. il s'arrache les cheveux, il veut lui retirer les yeux. elle a douze ans et il a besoin de lunette, d'un cerveau qui fonctionne. il est con.
c'est du chantage.
il croise les bras, voit qu'elle a répondu avant qu'il se décide à appuyer sur entrée. le même timing.
il rit.
peut-être c'est déjà l'cas. peut-être j'la baise déjà, à tous les temps.
il serre la mâchoire, il réfléchit pas.
manière serge il te retourne bien toutes les semaines, combien de fois ?

Cruelle, la femme pas docile sort de ses doigts de garçon démon et Isma se braque, en enfant nerveuse. Les mots lui percent les contours du visage, elle se tord sur sa chaise, le rouge est monté aux joues très vite mais surtout l'goût amer des enfers de Ilyas viennent et l'enlacent violemment.
"T'es vraiment dégueulasse quand tu t'y mets."
Les plaies imaginaires sont profondes, la fille quitte plus son écran avant de rageusement cliquer sur 'se déconnecter'
Il a des dessins particuliers; elle voit des femmes dans son dos et des garçons aussi parce que les hommes se glissent encore près de lui avec des sourires bienveillants.
Il va plus aller bien maintenant, pas avec elle. C'est qu'un de plus dans l'agitation terrible de leur âge.

il croise les bras sur sa poitrine, il est fier. il sait pas si c'est le bon terme, mais il est satisfait d'c'qu'il vient de lui envoyer. elle le blesse, il la blesse. 1 partout, balle au centre.
elle répond qu'il est ignoble. elle précise que c'est quand il veut, alors ça lui fait moins mal, parce que ça sous entend qu'il sait être beau et doux, pas tout moche et méchant.
comme ça on est à égalité.
mais il sent le vent glacial du blanc arriver, il se demande si elle envisage de répondre, si elle va pas partir de rage, le quitter pour cette nuit.
il se lève, va chercher un grand verre d'eau. il le vide d'une traite. lui laissant le temps de décider c'qu'elle veut faire, partir ou rester aux côtés d'ilyass le dégueulasse.

Le crime-massacre vient faire un carnage avec ses tripes, elle s'étale sur le matelas, les draps se mélangent avec ses jambes. Elle a plein d'impossibles dans la tête, ça la retourne, elle aimerait ne plus se réveiller et les murs se rapproche. Elle imagine Serge témoin de tout ça et elle s'en veut parce que malgré tous ses efforts, il commence à s'effacer graduellement du paysage.
Coeurs brisés,
Les sentiments aliénés lui font perdre en contenance et Ismaïl roule sur son lit avant de disparaître. Les yeux colère, elle se redresse, prend ses clefs, rien d'autre.
Et puis chaque rue est une épreuve, un morceau de lune s'est incrusté dans son dos et il creuse à chaque pas.
Elle galère, trouve pas destination tout de suite. Et puis il va se passer quoi maintenant? Qui d'autre va dégringoler.
Sur la sonnette
Y a des restes de tendresse
Qu'elle abandonne en route
Les yeux sur le bitume,
Les mains dans les poches.
Sale mioche.