c'est un soir comme un autre qui suit une journée ordinaire. parfois, tu te dis que tu pourrais faire mieux baraa. que t'es née pour faire de grandes choses. et puis finalement, tu te rappelles que t'as aucun talent. si, peut-être pour la musique. d'ailleurs le boss, il a dit que tu pouvais prendre ton vendredi soir pour chanter dans l'coin, un peu plus loin, derrière les billards. tu le fais de temps en temps. ça te change parfois de ne plus être derrière le comptoir. et puis, il a l'air de réellement croire en toi. comme si t'avais du potentiel. zak, il dit que t'en as. toi, t'en doutes encore. la sensation n'est pas la même lorsque tu chantes et lorsque tu sers. les regards qu'on te porte non plus. derrière un piano ou un micro à la main, t'as l'air plus innocente, plus réservée mais putain, ça te ressemble davantage.
alors t'es là, en train de griffonner quelques paroles sur un morceau de papier. tu bouges la tête au rythme du son que ton crâne imagine. le jukebox résonne un peu plus loin mais, t'as appris à faire abstraction. c'est dingue ce que les gens peuvent avoir des goûts musicaux à chier parfois. ouais, ça sonne bien que tu t'dis. tu hausses les épaules et t'écris davantage. finalement, y a un client qui te rappelle.
" ma bière, elle est va arriver toute seule ! "
par contre, mon poing si. c'est ce que tu penses très fort au plus profond de toi. tu serres les dents. t'énerves pas baraa, c'est pas le moment. tu souris. d'un sourire hypocrite mais, tu lui souris malgré tout. le client est roi. c'est ce qu'on dit. saleté de job à la con. tu lui sers donc une bière. t'as envie de lui dire que la bière, c'est pour les gonzesses. t'as envie de lui dire d'aller voir ailleurs. tu fermes ta gueule parce que c'est ce qu'on te demande. tu fais glisser sa satanée boisson le long du comptoir et comme un pro, il la rattrape en le tendant dans ta direction. ouais c'est ça, santé connard !
elle se renferme de nouveau. coincée dans sa bulle, elle s'y perd parfois baraa. ce soir, y a pas beaucoup de clients, elle peut se le permettre.

Ca faisait un bail qu’il ne l’avait pas vue. Baraa. Sa soeur jumelle venait de temps en temps au Kebab, mais Kaïs n’osait jamais demander. Il n’aimait pas prendre des nouvelles des autres par le biais d’une personne, c’était contre ses principes. Et puis, les messages, n’en parlons pas. Kaïs n’aimait pas vraiment les SMS, ni les appels. Pour lui, tout ça n’était pas réel. A part pour envoyer des messages à sa mère -qui finissaient sans réponse-, liker les meufs sur instagram et à écouter la la musique, son téléphone ne lui servait pas vraiment.

Et puis un soir, quand la nuit avait recouvert la ville et les âmes de plusieurs lyonnais, Kaïs avait envie de profiter de sa soirée. Il était seul, pour l’instant et n’avait encore demandé à personne pour l’accompagner dans sa débauche.
Il voulait la voir avant, là où elle travaillait.
Et si elle était de bonne humeur, il aurait peut-être le droit à un verre gratuit.
Et si il avait de la chance, il y aurait sûrement quelques jolies filles à ce bar.

Mais quand il était arrivé, c’était vide. Peu de client. Déçu. Alors il se fit discret, écoutant la demande un peu brutale d’un client. Le stéréotype typique du beauf, impatient et condescendant. Ca lui avait fait doucement sourire, surtout l'expression sur le visage de Baraa.

« Tu devrais bosser au grec avec moi. Au moins, avec les clients relou comme ça, tu peux te permettre de cracher dans leurs frites. » un petit sourire sur le bout des lèvres, il s’était assis sur le tabouret juste en face d’elle. Elle avait l’air dans son monde, une fois d’plus. « Mais c’est peut-être pas trop tard, tu veux que j’aille cracher dans sa bière pendant qu’il a l’dos tourné ? »

y a pas beaucoup de clients ce soir. c'est même quasiment vide et c'est étrange. trop rare pour être vrai. elle sait que la foule, elle va bientôt débarquer. c'est toujours comme ça. y a les moments calmes et les moments de déboire. des moments où les clients, ils sont un peu lourds. ils en demandent trop. du coup baraa, elle serre les dents, elle se mord la joue, elle prend sur elle pour ne pas les foutre dehors ces connards. dans ces moments-là, ça court aux quatre coins du comptoir. ça file dans la réserve pour remplir les stocks. c'est un peu bagdad.
baraa, tant que ce moment n'est pas arrivé, elle en profite. perdue dans ses pensées, elle griffonne dans un coin. elle écrit quelques paroles. quelques mots qui se perdent sur le papier. elle murmure, elle fredonne sur un air qui passe en boucle dans sa tête. c'est pas la même merde qui se joue dans le jukebox. c'est plus mélodieux. un peu sombre. un peu calme. c'est doux mais rapide à la fois. ces mots se marient à la perfection avec ce son technique.
elle sert le client relou et elle vaque de nouveau à ses occupations. du moins, c'est ce qu'elle comptait faire avant que kaïs débarque. sa remarque la fait sourire. elle peut pas s'en empêcher baraa. même si elle essaie de s'éloigner, elle peut l'ignorer pour autant. elle secoue les épaules la demoiselle. elle attend qu'il termine. le silence s'installe. elle sait qu'elle doit reprendre la parole pour que le dialogue se fasse. seulement, elle a pas forcément envie de parler la gamine. elle a d'autres choses en tête. elle ferme son stylo et soupire.
" tu sais, ils sont pas si méchants ! un peu exigeants parfois mais, je les échangerais pas contre les odeurs du grec désolé ! "
elle grimace légèrement. c'est pas tellement son truc à baraa. les odeurs de bouffe. pourtant, elle en raffole des fast-food. de la mal bouffe. pas du grec. pas le grec dans lequel il bosse kaïs en tout cas.